“Jusque-là”, une exposition à découvrir de toute urgence au Fresnoy – Studio national
Le décompte est lancé : 3 semaines, c’est le temps qu’il vous reste pour aller visiter la bouleversante exposition Jusque-là au Fresnoy – Studio national des arts contemporains à Tourcoing, visible jusqu’au 30 avril 2022. Cette exposition, co-produite avec la Collection Pinault, est “une fenêtre qu’on ouvre. On l’ouvre et on permet aux œuvres de parler au public.” comme le dit si bien Enrique Ramírez, artiste diplômé du Fresnoy et désormais connu et reconnu sur la scène internationale.
Qu’elle soit celle de la vie, du voyage, de la migration ou encore des émotions, la traversée y est abordée dans toutes ses dimensions. Les œuvres de l’artiste chilien Enrique Ramírez sont mises à l’honneur aux côtés de celles issues de la très célèbre Collection Pinault. Ensemble, elles nous emmènent dans une apaisante déambulation dans les espaces sans murs de la grande nef du Fresnoy – Studio national (plus de 1300 m2 !).
En la parcourant, nous voyageons à travers les Amériques avec les photos de Paolo Nazareth ; clichés pris lors de sa traversée à pied du Brésil jusqu’à New York, sans passeport, ni document officiel, ou encore à travers le Chili avec L’homme qui marche d’Enrique Ramírez, qui semble hanter le lac de sel de Uyuni en Bolivie où ciel et terre paraissent ne faire plus qu’un.
Un réel dialogue s’installe entre les œuvres elles-mêmes qui se regardent, mais également entre les œuvres et le visiteur. Nous nous laissons inconsciemment tomber dans une méditation, que le calme de l’exposition et le chant des baleines qui résonne nous imposent. Ces baleines sortent de leur sommeil pour nous chanter les changements climatiques qui s’opèrent au Pôle Nord et au Pôle Sud, le tout via le Wind Project d’Enrique Ramírez.
“Certaines œuvres de l’exposition favorisent le silence pour faire apparaître des choses simples qu’on prend moins – ou qu’on prendrait moins – le temps de regarder. L’arbre, l’eau, le mouvement sont pour moi très acoustiques.” (Enrique Ramírez)
Face aux œuvres, on se retrouve seuls, seuls face à l’immensité de la terre ou de la mer, seuls face au reflet de nos propres émotions. Cette intimité nouée qui contraste avec la scénographie sans mur, sans frontière, nous permet de tisser un lien unique avec l’exposition où notre chemin se fait au gré de nos envies, à notre rythme. Parfois, pourtant, le message que nous transmettent les œuvres est lourd de sens, la poésie qu’elles dégagent n’a alors d’égal que la tragédie qu’elles expriment. Lors de notre voyage on peut par exemple faire escale par 4820 Brillos (Enrique Ramírez), qui ne semble être qu’une toile noire agrémentée de pièces de monnaie. En réalité, cette œuvre est bien plus engagée : si l’ensemble de ces pièces dessine la mer Méditerranée, une seule pièce symbolise une vie perdue lors des traversées de 2016. Ainsi elles sont 4820, pour 4820 vies qui hantent ces vagues.
Ces naufrages sont ancrés en cette œuvre par le bateau renversé (Mirror, Enrique Ramírez) frappé sur chaque pièce et suspendu face ou dos à nous si on relève la tête. Une métaphore politique qui tient à cœur de l’artiste qui naît et grandit au Chili sous la dictature de Pinochet, à l’origine d’un mouvement migratoire très important pour le pays et de très nombreuses pertes.
Jusque-là est une traversée à entreprendre en soi pour redécouvrir un monde abîmé dont ces artistes montrent la dureté et la beauté. Cette superbe exposition vaut le détour : faites le voyage, vous ne le regretterez pas.
Emmy David
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